Salles-cinéma.com aime rencontrer ces hommes de l’ombre, dans les coulisses des salles de cinéma, que sont les exploitants indépendants. Après la passionnante interview du directeur du cinéma LE NAVIRE à Valence, c’est au tour d’une personnalité de Privas, en Ardèche, de livrer ses impressions sur la vocation artistique du cinéma dans la cité. Patrick Dallet parle avec conviction de son travail de programmation pour faire (re)découvrir une autre facette du 7ème Art aux habitants de Privas et de ses alentours. Le parti-pris du VIVARAIS, l’unique cinéma de la ville qui ouvre cette année une troisième salle, est en effet de miser sur la qualité des films programmés, sur l’organisation d’événements et de rencontres autour des films. La salle de cinéma n’est donc pas qu’un simple diffuseur de films, mais bien un véritable lieu artistique de passion et d’échanges.

RENCONTRE AVEC PATRICK DALLET, DIRECTEUR DU CINÉMA LE VIVARAIS A PRIVAS.

LE VIVARAIS est l’unique cinéma de Privas. Comment se positionne-t-il pour satisfaire le goût de tous les spectateurs?

Chose rare dans une préfecture, je crois même unique: en 1989, la ville de Privas s’est retrouvé privée de cinéma à cause d’une gestion déplorable, de conditions de projection catastrophiques et d’un accueil laissant encore des traces dans les mémoires. Tous ces facteurs avaient provoqué la fermeture du cinéma ROYAL. L’activité cinématographique avait ainsi du plomb dans l’aile.

En 1990, un exploitant de Savoie relevait le défi de réintroduire le cinéma à Privas en ouvrant deux salles dans un ancien garage. Je fus le responsable de l’ouverture en 2003, date à laquelle j’en devins le gérant. Dans les premières années d’exploitation, je n’étais pas réellement impliqué dans la programmation: j’assurais la gestion du VIVARAIS ainsi que la projection. Ayant des activités connexes (entre autre la musique) cela me convenais parfaitement. A cette période, l’enjeu – lourde tache compte tenu du contexte historique – était de faire venir les films au nouveau cinéma LE VIVARAIS: les distributeurs étaient assez dubitatifs sur une reprise de l’activité cinématographique à Privas. Je créais rapidement, en mobilisant des cinéphiles, une association: « Cinéma Privadisio ». L’objectif était de proposer des films d’auteurs. Un comité de programmation se réunissait tous les mois afin d’effectuer une sélection de films. L’étincelle jaillissait ainsi timidement et je n’ai eu de cesse depuis de développer le cinéma Art et Essai, ce que j’ai pu pleinement réaliser lorsque j’ai eu les coudés franches.

Le cinéma de Privas est également classé Art et Essai. Quelle spécificité ce label lui confère-t-il ?

LE VIVARAIS détient effectivement les trois label: Jeune Public, Recherche Découverte et Répertoire. J’ai une ligne éditoriale assez simple et radicale et… très impulsive: j’aime, j’use de ma force de persuasion pour entraîner les spectateurs dans mes amours. Je ne spécule jamais sur la carrière des films et ne consulte pas frénétiquement le box-office. Je lis les critiques (j’en écris également dans le programme du VIVARAIS) qu’après avoir diffusé le film. En dehors de l’Art et Essai, couvrant à peu près 70% des œuvres, j’essaie autant que faire se peut de respecter des critères qualitatifs.

Les ardéchois sont-ils cinéphiles? LE VIVARAIS répond-il aux attentes des habitants de Privas et de ses alentours?

Oui, ils le sont devenus davantage encore car il y a eu un gros travail de sensibilisation et d’animation autour des films. Je dois dire que le public était potentiellement réceptif à une programmation de qualité. J’ai toujours été convaincu qu’il faille orienter le public vers l’Art et Essai.

Le succès du cinéma ne se dément pas puisque LE VIVARAIS passe de deux à trois salles…

Le succès est assez relatif dans la mesure où il n’est que le fruit de la multiplication des séances et des jours d’ouverture. En effet, la pression des distributeurs est toujours plus forte: ils exigent, pour reprendre une terminologie professionnelle, que leurs films soient “exposés” dans une salle et à toutes les séances. Ce qui ne laisse évidemment que peu de place aux autres films lorsque vous possédez deux écrans. Vous devez donc sacrifier la diversité des œuvres à laquelle vous tenez… à moins d’avoir un écran supplémentaire. Donc ne nous y trompons pas, car les règles aujourd’hui fixées par les distributeurs profitent essentiellement aux multiplexes.

Quant aux petits cinémas, il nous faut toujours investir en moyens humains et matériels (les trois salles du VIVARAIS sont équipées en numériques, le 35 mm ayant quasiment disparu). Cet investissement influe faiblement sur la rentabilité du cinéma. C’est ce que l’on appelle “l’effet ciseaux”: à partir d’un certain seuil d’investissement imposé, les dépenses augmentent à un rythme beaucoup plus soutenu que les recettes. C’est le cas avec le passage au numérique. Depuis les frères Lumières, aucune révolution technologique telle que le passage au numérique n’avait eu lieu. Pour ce qui est du financement des salles en équipement numérique, le montage étant assez complexe, je vous laisse le soin de découvrir un petit édito ludique (au bas de l’interview) paru dans mon programme à l’usage des spectateurs se posant des questions sur cette affaire.

Les cinémas de centre-ville ne sont plus de simples diffuseurs de films mais deviennent de véritables pôles culturels. Est-ce le cas du VIVARAIS ?

Le mot culture définit toutes les productions d’une civilisation, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, et n’est pas limité à des critères qualitatifs ou moraux, sommes toutes assez subjectifs. Je parlerais davantage d’une « vocation artistique » du cinéma. L’art implique un engagement personnel, des choix et une volonté d’exprimer justement sa vision de la culture. C’est ce que je m’efforce de faire au travers de la programmation du VIVARAIS, des rencontres avec les auteurs, des ateliers, des textes que je publie, de mes interventions dans le cadre des dispositifs d’éducation à l’image et des œuvres peintes sur la façade extérieure. Cela forme un tout, une représentation, une identité qui est propre au lieu.

LE VIVARAIS, c’est également sa célèbre façade et ses murs peints…

L’idée était d’inverser la représentation que le spectateur a de lui-même lorsqu’il est en face d’acteurs transcendés par l’écran, avec ces mêmes acteurs, à leur tour spectateurs de l’homme de la rue devenu un héros. Ce renversement égotique créé fatalement une valorisation du regardant face au regardé. Il a suffit simplement pour cela de créer l’illusion d’un mur brisé donnant sur la salle. Les personnages de Wallace et Gromit mangeant du pop-corn sont en quelque sorte un heureux accident puisqu’ils remplacent à ma demande le portrait que le peintre Claude Marchand avait fait de moi. Finalement, je figure sur la fresque mais plus en retrait, derrière Gérard Jugnot !

Vous êtes-vous reconnu dans le personnage de Toto, le jeune héros du film « Cinéma Paradiso », amoureux du cinéma dès son plus jeune âge?

Je ne me reconnais absolument pas dans le personnage de Toto! Je suis un « accident » dans cette profession très cloisonnée: je ne suis pas du sérail. Mais puisque le hasard des rencontres m’a amené vers le cinéma, dont j’ai toujours été curieux, j’ai pris la chose à cœur avec un certain enthousiasme. Enfant, on disait de moi que j’étais toujours dans la lune… Finalement, que ce soit le piano, l’avion (je pilotais) l’écriture ou la gestion d’un cinéma, je n’en n’ai jamais été bien loin!

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Voir l’article et les photos dédiés au Cinéma Le Vivarais de Privas.

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« L’aventure des cinémas Utopia » par Anne-Marie Faucon, co-fondatrice des cinémas Utopia.

« Donner le meilleur de moi-même » par Jean-Jacques Schpoliansky du cinéma Balzac à Paris.

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« Du cinéma d’auteur pour tous! » par Cyril Désiré du cinéma le Navire à Valence.

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Lorsque le directeur du cinéma LE VIVARAIS, Patrick Dallet, explique à ses spectateurs le passage au numérique, cela donne un texte drôle et engagé. Nous publions ici l’édito paru dans le programme du cinéma.

Demandez le programme !
Bon, les amis il faut que je vous parle de choses importantes. Vous n’êtes pas sans savoir que le cinéma vit une grande révolution technologique. Exit la pellicule, place au numérique. Sous la pression des Américains, afin de réduire les coûts d’exploitation nous sommes tous contraints de nous mettre au régime pixel. Imaginez le bazar ! Du jour au lendemain, alors que les distributeurs de films nous avaient promis une transition sur cinq ans, votre interlocuteur avec qui vous nourrissez, « des rapports aussi divers qu’enrichissants » vous annonce qu’il ne tire plus, ou presque, de copies argentiques. Bah voyons ! Parce que, bien évidemment les économies sus évoquées, ce n’est pas moi qui vais les faire. Pour une cabine : projecteur, serveur, coût d’adaptation / 80 000 € ! gloups ! Bien évidemment les distributeurs, c’est la moindre des choses (à hauteur de 70%), mais aussi l’état, la région, le département et les communes mettent la main à la pâte ; sans eux, fermeture de 1000 petites salles art et essai assurée. Ma part à financer, environ 10%, ne représente qu’une infime partie des nouvelles charges liées à cette technologie fort couteuse. Exemple : extension de garantie de trois ans (obligatoire) 7000 €, Chaude ligne (hot line) 1200 € /an et par appareil. Durée de vie des projecteurs : on parle de 7 ans, échéance à l’issue de laquelle aucun financement n’est envisagé !
re gloups !
Alors voilà, imaginez : vous êtes tranquille pénard dans votre voiture, la jauge à carburant est dans le rouge, vous vous arrêtez à une station, et vous cherchez les pompes. Pas de pompes ! Vous allez voir le pompiste et vous lui faites part de votre étonnement.
– Mais Monsieur nous ne vendons plus de carburant fossile !
– Je fais quoi alors avec ma voiture ?!
– Poubelle, vous répond effrontément le fraichement reconverti.
Vous rigolez, mais l’installateur qui me loue, en attendant mon financement, l’appareil numérique de la plus grande salle me propose gracieusement des projecteurs 35 mm presque neufs dont le tarif catalogue avoisinait les 20 000 € en 2010.
– Bon alors ça marche à quoi maintenant les voitures?
– A l’électricité, les pompes ont étés remplacées par des prises.
– Ah oui, tout s’explique ! J’ai un solex, c’est bien le solex, c’est économique, un peu casse gueule, mais c’est bien, il ne vous reste pas un bidon ou deux de solexine ? La solexine, on en trouve partout normalement, dans les épiceries, chez le marchand de vélo…
– Mais vous sortez d’un long coma, vous ! Pour info, le mur de Berlin est tombé en 1989, la monnaie actuelle est l’euro, la Grèce est dans la panade, et la Chine, sous l’effet de la caféine fournie par l’occident, comme le prévoyait Alain Peyrefitte (homme politique de la V république, écrivain et diplomate français né le 26 août 1925 à Najac dans l’Aveyron et mort le 27 novembre 1999 à Paris) s’est vraiment très très bien éveillée.
– Dites donc, vous êtes vachement cultivé pour un pompiste !
– C’est écrit dans Wikipédia.
Le problème quand j’écris c’est que je me perds facilement dans les digressions. Je me dis : je vais être sérieux, je vais faire un exposé clair et concis de la situation, et je vous embarque sur mon solex. Pourquoi ne pas vous parler de la fille de l’épicière de Morgny la Pommeraie (Normandie) qui vendait de la solexine en bidon de deux litres, pendant que j’y suis? Hein ! Ah la fille de l’épicière… Je vous vois venir, vous…Elle vendait du bon camembert, c’est tout… et aussi de la solexine.
épilogue
Les vilains distributeurs intensifient leur pression. Ils veulent tous la même chose.
– Je te donne une copie, mais je veux du plein programme pendant 3 semaines.
Ce qui veut dire en gros qu’aucun autre film ne doit cohabiter avec la Big production. Résultat, les autres œuvres, essentiellement des films Art et Essai plus fragiles ne peuvent plus trouver leur place dans une grille horaire envahie par la présence hégémonique des « blockbusters », dont j’ai besoin, cela va sans dire. Pour conserver la diversité de programmation à laquelle je tiens bec et ongle, je suis donc contraint de faire une autre salle ! Voilà l’histoire les amis, la troisième salle c’est pour que les films d’auteurs continuent à exister, non mais, il manquerait plus que ça !