Ci-dessus: Jean Carmet, Claude Guilhem, Michel Piccoli et Gérard Depardieu.

Après ses souvenirs des salles de cinéma de Toulouse et ceux du Gaumont-Palace de Paris évoqués sur Salles-cinema.com, Claude Guilhem poursuit ses « flash-backs » cinématographiques. De 1975 à 1983, Claude Guilhem a produit un magazine télévisé hebdomadaire dédié au cinéma et intitulé  » 3+7  » pour « FR3 Toulouse 7ème Art ». Cette émission avait pour but de mieux faire connaître la vie cinématographique à Toulouse et dans les huit départements de la région. Ainsi, cette chronique régulière suivait la sortie des films, les tournages à gros ou petit budget effectués dans la région, la transformation des salles, les initiatives locales, etc.

Également journaliste à la radio à laquelle il voue une nette préférence, Claude Guilhem a rencontré quelques une des figures majeures du 7ème Art. Seul au micro avec ses invités, il a ainsi vécu des moments privilégiés qu’il a bien voulu nous commenter. Voici comment Claude Guilhem décrit la radio, sa voie de prédilection: « Ce que j’aime dans la radio, c’est cette intimité, c’est être près des gens. La voix est une compagne de chaque jour. On parle à l’oreille de l’individu, c’est une confidence amicale. Alors que la télévision, c’est du spectacle ». Il produisit ainsi dans les années 1970-80 « Souvenance », une série d’émissions consacrées à des personnalités, pas forcément de cinéma. Une de ses grandes rencontres fut l’écrivain Maurice Genevoix, alors âgé de quatre-vingt ans mais doté d’une grande jeunesse intellectuelle.

Mais revenons au 7ème Art et aux rencontres de ce professionnel avec des grands du cinéma.

Rencontre avec Claude Guilhem, ancien journaliste de radio et de télévision.

Durant votre carrière de journaliste à la radio et à la télévision, vous avez rencontré beaucoup de ces femmes et ces hommes de cinéma. Quel regard portez-vous sur eux?

« Si j’ai bonne mémoire… » comme aurait dit Sacha Guitry! Des personnes ont totalement changé le regard que j’avais sur elles. Par exemple, je fus étonné par l’acteur et réalisateur Jean-François Stévenin, qui est un véritable créateur-né. Alors que Romy Schneider était une femme très rieuse, Edwige Feuillère , ce n’était pas la même génération mais tout de même, se montra hautaine en n’hésitant pas à m’interrompre dans ma première question pour me dire sèchement: « appelez moi, Madame ! » Annie Ducaux, une actrice aujourd’hui un peu oubliée, était autoritaire.

Michel Piccoli m’a beaucoup marqué: il avait dans les années 1970 une cinquantaine d’années. C’était un des hommes les plus séduisants et les plus courtois de sa génération. Autre énorme star à l’époque, Pierre Richard était lui un homme amical et humble. Toujours en haut de l’affiche depuis les années 1960, Jean-Louis Trintignant était la bienveillance même, mais restait toujours presque timidement sur la réserve. Le génial Claude Rich était lumineux tandis que Serge Reggiani, sombre mais avec un sourire d’enfant, m’intimidait. Raymond Pellegrin vouait une admiration « éternelle » à Sacha Guitry. Quant à Claude Brasseur, il m’en a voulu lors d’une interview parce que je lui parlais trop de son père Pierre Brasseur! Je me souviens enfin de Jacques Dufilho: quel grand artiste et quelle gentillesse! Avant d’être une star de la télévision, Roger Hanin, était impressionnant et méfiant dans ces années 1970.

Ci-dessus: Claude Guilhem s’entretient avec Pierre Richard lors d’un tournage.

Serge Gainsbourg était un génial ourson quant à Jane Birkin, impossible pour elle d’être autrement que naturelle et adorable. Guy Marchand m’avait confié son émerveillement pour son premier rôle aux côtés de Lino Ventura et de Brigitte Bardot. L’actrice Marie-Christine Barrault était une femme très chaleureuse: elle me parlait comme à un vieux copain! Très disponible, on sentait déjà chez Jacques Perrin brûler la tentation d’autres aventures. Robert Hossein étouffait dans l’image qu’on donnait de lui.

D’une génération plus jeune, Patrick Dewaere était un homme très réservé mais entièrement disponible. Son complice d’alors, Gérard Depardieu, exubérant et drôle m’a décontenancé en laissant avec soulagement s’échapper des bruits naturels incongrus en cours d’émission!

Et du côté des « faiseurs de rêves » que sont les réalisateurs?

J’ai croisé la route de Marcel Carné, la légende du cinéma qui, à défaut d’un « Quai des brumes », accepta que nous filmions un magazine avec lui sur les quais de Garonne à Toulouse. Autre mémoire du cinéma, Pierre Tchernia, surnommé « Monsieur Cinéma », m’expliqua, devant ma colère face au comportement mercantile de gros exploitants, que le cinéma n’était malheureusement pas seulement un art mais également une industrie…

Alain Corneau était un être amical et passionné par tous les aspects du cinéma: depuis la technique en passant par les acteurs et la mise en scène et également les lieux de projection à travers le monde, ces théâtres qu’à l’époque on démolissait sans état d’âme plutôt que de les sauvegarder en les mettant en valeur. Cela le rendait triste, et il va sans dire qu’il était amoureux de la salle du Grand Rex à Paris.

Avec André Cayatte, un salon de restaurant se transformait en prétoire! François Truffaut était comme un enfant émerveillé, mais avait la « dent très très dure ». Peut-être était-ce dû à son passé de critique de cinéma? Claude Chabrol, appelé chaleureusement « Cha-Cha », était tout le contraire! Daniel Toscan Du Plantier souffrait qu’on le surnomme méchamment « Tocard-Duplanton »: il était Directeur-général de Gaumont, « en dilettante » murmurait-on… Autre grand producteur et réalisateur aujourd’hui disparu, Claude Berri. L’homme me donnait l’impression d’un être tourmenté, taciturne et introverti.

Plus âgé, Robert Lamoureux était le même qu’en public: original. En tout lieu et circonstance, il respectait comme il disait « le moment sacré de la sieste ». Très humble, Henri Verneuil souffrait beaucoup d’être méprisé par ceux qui le taxaient de cinéaste « commercial ».

Le généreux Robert Enrico avait horreur qu’on prononça son nom « inrico ». Claude Sautet était un être froid mais très coopératif. Quant au prolifique Claude Lelouch, il était très attentif lors de nos interviews. Bertrand Blier était étrange, Jacques Rouffio méticuleux. J’ai eu la chance aussi d’interviewer Steven Spielberg. A une question portant sur les ressemblances de style entre la musique de son film « Rencontre du troisième type », signée John Williams, et les compositions de Claude Debussy ou de Maurice Ravel, il s’exclama: « En Amérique personne ne les connait » !

Ci-dessus: Claude Sautet (au centre) et Eva Darlan interviewés par Claude Guilhem.

Ci-dessus: le réalisateur Jacques Rouffio (à gauche) avec Claude Guilhem.

Jacques Tati endossait-il le costume de M. Hulot hors des caméras?

Jacques Tati était vraiment à l’image de son personnage de M. Hulot. Très taquin, sans méchanceté aucune, il m’avait au cours d’un entretien fait « tourner en bourrique ». Pour « se faire pardonner » il m’invita à Noé, un village de Haute-Garonne, chez son ami Jean-Baptiste Doumeng – surnommé le milliardaire rouge – et là il fallait voir Jacques Tati mimant certains autres invités se vautrant sur des peaux de tigre au bord de la piscine… Un spectacle inoubliable.

Vous avez même croisé Joséphine Baker…

J’ai effectivement eu cette chance. Joséphine Baker, ancienne meneuse de revue, avait été sous l’occupation une authentique héroïne avec un cœur, si j’ose dire, « gros comme la Terre ». Tout son amour, elle l’avait donné aux orphelins du monde. A cette époque, elle était devenue une vieille dame pathétique et infiniment respectable. Elle ne supportait pas que l’on prononça son nom à l’américaine « Békeur »!

Quelle est votre plus belle rencontre?

Ma plus belle rencontre eut lieu avec Jeanne Moreau. C’était et c’est encore une femme brillante, intelligente, attentive, ouverte à tout, aimant profondément les gens (pas seulement les cinéastes) et le prouvant en pratiquant une empathie permanente et rayonnante. Généreuse aussi bien sûr! Qui d’autre aurait accepté d’être l’invitée d’honneur pour le centième numéro d’un magazine du cinéma de télévision régionale ? Et qui d’autre, face à mon trac, m’aurait sauté au cou, telle une petite fille, en m’embrassant comme un enfant et en me disant : « Vous voyez que tout s’est bien passé ! »

Parmi toutes ces grandes signatures, quelles sont celles que vous n’avez pas pu interroger?

J’ai deux regrets pourtant bien différents dans ma carrière de journaliste: le premier est de n’avoir pu faire la connaissance d’Alain Resnais que j’admire profondément. Le second est de ne pas être allé en 1982 au Festival de Deauville où Charlton Heston, la grande star de « Ben-Hur », était l’invité d’honneur.

Aujourd’hui, vous n’animez plus d’émissions de cinéma et ne rencontrez plus ces grandes figures du 7ème Art. La passion du cinéma s’éteint-elle lorsqu’on redevient « simple » spectateur?

Ayant depuis mes plus jeunes années été un spectateur assidu , je pense que si la passion du cinéma avait dû s’éteindre en moi, ce serait chose faite. Au contraire, ma profession aidant, je suis devenu de plus en plus « accro ». Malheureusement la production, la distribution, l’exploitation et même l’accueil m’ont, à certaines périodes, exaspérés y compris dans les salles « Art et Essai ».

Je ne suis pas un consommateur de films, mais un spectateur exigeant sur tous les plans et attendant du 7ème Art qu’il « capture nos rêves » (même les pires), selon la formule de Georges Méliès.

Les cinéastes d’aujourd’hui ont à leur disposition des appareils à la technique tellement souple et pointue que je ne supporte plus, sauf quand c’est justifié, ces partis pris de tournages désinvoltes aux mouvements inutiles et aux cadrages en mouvement, au choix aléatoire et désespérant de formats inappropriés au sujet. Pour rentrer un peu dans la technique, par exemple, le 2.39 X 1 à des raisons d’être bien particulières, et ne convient absolument pas à des films (notamment intimistes) où le choix d’un cadre en 1.85 X 1 s’impose. Et ne parlons même pas du 1.65 X 1 (format préféré d’Alfred Hitchcock) à défaut de ce bon vieux 1.37 X 1 qui, pendant près de 55 ans, a servi de support à des films parfois inoubliables. Quant au grandiose 70mm, ancêtre de l’IMAX , il nous a permis de découvrir la perfection d’images de super-productions que même Ridley Scott regrette de n’avoir pu atteindre.

La Louma (grue de prise de vue), ancêtre de la Technocrane, est une invention française copiée et développée dans tous les pays. Quant au steadicam, il reste le système de support de caméra le plus élégant, le plus apprécié et le plus souple ; devenir « steadycamer » ne s’improvise pas, c’est un métier très exigeant qui vaut de l’or. Alors pourquoi encore, sauf je le répète lorsque certaines raisons le justifient, nous impose-t-on des images tremblantes, hésitantes, et mal tournées à l’épaule. D’autant que le grand écran les supporte très mal. La mode « nouvelle vague » a depuis longtemps atteint ses limites, et aujourd’hui nous avons trop souvent de « très vagues mouvements d’appareils ».

Et puis il y a la décoration des salles de cinéma qui, se voulant sobre, dépouillée et surtout bon marché, est souvent d’une tristesse banale à pleurer. Dieu merci la grande salle du Grand Rex à Paris est désormais classée au patrimoine et donc intouchable, mais combien d’autres joyaux de par le monde, témoins de l’âge d’or, ont-ils été détruits sans hésitation ?

Bien entendu je continue de suivre, de loin, les nouveaux talents et je fais confiance à plusieurs jeunes réalisateurs et scénaristes. Le temps seul dira, et pas toujours avec raison, s’ils seront les meilleurs de leur époque! Étant par nature optimiste et confiant, je partage l’avis « d’un certain » Martin Scorsese qui, en espérant tout du cinéma, n’en reste pas moins très attaché à la conservation et à la rénovation des films.

Une ère s’achève, celle du film argentique et, en dernière confidence, je vous dirais que j’attends beaucoup de la production et de la projection numérique. Qui vivra verra !

Ci-dessus: Le réalisateur Elie Chouraqui (à gauche), Anouk Aimée au micro avec le journaliste Claude Guilhem.

Ci-dessus: Claude Guilhem interviewe l’acteur Raymond Pellegrin (à droite).

Ci-dessus: Les acteurs Paul Barge et Raymond Buissières.

Ci-dessus: Claude Guilhem avec Raymond Borde (à gauche), critique de cinéma et essayiste français, co-fondateur et conservateur de la Cinémathèque de Toulouse.

Ci-dessus: le journaliste de radio et de télévision Claude Guilhem en 1980.

Remerciements: M. Claude Guilhem.
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Souvenirs d’un cinéphile toulousain.

J’ai connu le Gaumont-Palace de Paris. 

« Du cinéma plein les yeux » à la Cinémathèque de Toulouse – Affiches de façades peintes par André Azaïs