Bien caché dans une petite rue perpendiculaire aux grands boulevards parisiens, le cinéma Beverley poursuit encore et toujours sa programmation, comme si le temps s’était un peu arrêté. Il faut dire que Le Beverley a la particularité d’être une « salle spécialisée ». Un cinéma porno pour dire les choses franchement. Son gérant, Monsieur Maurice, a bien voulu pour Salles-cinema.com lever un voile pudique sur son activité, la dernière du genre dans la capitale.

Rencontre avec monsieur Maurice, gérant du dernier cinéma porno de Paris. 

Dans cette petite rue de la Ville-Neuve, la façade du Beverley y est discrète: aucune affiche ne signale les films programmés. Il faut monter les quelques marches jusqu’à la petite caisse pour découvrir les séances de la salle et, derrière sa vitre, apercevoir le visage de Monsieur Maurice, aux commandes du Beverley depuis le début des années 1980. Cette semaine, deux films aux titres évocateurs sont proposés: « Petites salopes » et « Déviations inavouables ». Le Beverley est un cinéma permanent: on peut rester pour les deux projections ou rentrer en plein milieu de séance.

« Les films que je propose ont tous quarante ans » raconte un peu désabusé le gérant en me montrant d’anciennes affiches illustrées. En effet, on vient au Beverley davantage pour un moment de plaisir que pour le 7ème Art, fût-il pornographique. « Je possède tout de même une centaine de films » assure-t-il avant de m’inviter à le rejoindre dans son antre. Pendant notre conversation, quelques spectateurs se présentent à la caisse pour recevoir leur ticket de cinéma moyennant la somme de 12 €. « Nous avons une centaine de spectateurs par jour » confirme Monsieur Maurice. « Mais c’est deux fois moins qu’il y a dix ans » lâche-t-il. Et nous voilà partis pour un petit tour dans un univers cinématographique hors-du-commun.

« Le Beverley a d’abord été la salle de danse du restaurant mitoyen, l’ancienne Brasserie Auvergnate, dont l’entrée était sur le boulevard de Bonne-Nouvelle. Cette institution a vu le jeune André Verchuren faire ses début justement dans cette salle ». La brasserie est aujourd’hui un restaurant de chaîne et le Beverley occupe donc la salle de danse depuis l’après-guerre. « Ce petit cinéma de quartier s’est d’abord appelé Le Bikini. On y passait des westerns, des films d’aventures puis des films d’horreur et enfin des films pour adultes. »

La Loi de 1975, disparition annoncée des salles de cinéma X.

Mais en 1976, le président Valéry Giscard d’Estaing et son ministre Michel Guy instaurent le classement des films X et l’associent à une taxe dissuasive de 33% pour les films violents et pornographiques. Cela sonne le début de la fin pour un grand nombre de ces salles, plus de quatre-vingt à Paris. Pour le Beverley qui, parmi sa programmation plus classique, proposait également des films pornos avant cette loi, un dilemme s’est posé. « Soit nous revenions à une programmation plus traditionnelle, mais c’était à court terme la mort assurée de notre petite salle à proximité du Grand Rex. Soit nous nous destinions uniquement au genre pornographique, une affaire rentable à cette époque ». C’est vers la seconde option que le Beverley s’est tournée. Aujourd’hui encore, le cinéma s’acquitte de cette taxe au CNC (Centre National de la Cinématographie) sans recevoir en contrepartie quelconque aide ou subvention du fonds de soutien. Lorsque je pose la question de l’autre cinéma pornographique de la capitale à mon interlocuteur, celui-ci me précise que le cinéma Atlas est déclaré comme un sex-shop: il ne s’acquitte donc pas de cette taxe, même si une vraie salle de cinéma projette des films X. Elle n’est ainsi qu’un complément de recettes, tout comme le Ciné-Nord, fermé en 2013 et transformé en café-théâtre. Le Beverley est donc bel et bien le dernier du genre à Paris.

« Je continue l’activité du Beverley avant tout pour faire plaisir aux clients » ajoute Monsieur Maurice tout en gardant un œil sur le projecteur 35mm de la cabine proche, le Beverley n’est pas passé au numérique. « J’ai passé l’âge de la retraite, j’aurai pu arrêter. Mais il y a le côté plaisant de l’affaire tout de même, même si les taxes nous assomment ». Le quartier a profondément changé:  la capitale s’embourgeoise et l’arrondissement voit une nouvelle population « bobo et homosexuelle«  au détriment d’une classe populaire qui fréquentait le lieu. Mais n’est-ce pas plutôt l’accès à l’information et aux contenus multimédias qui a transformé notre époque? La pornographie est accessible partout depuis Internet. « Avant, les jeunes découvraient la pornographie dans les salles spécialisées. Désormais, il y ont accès facilement depuis n’importe quel support connecté. »

Jeunes et moins jeunes fréquentent le cinéma Beverley.

L’accès au Beverley n’est pas autorisé aux moins de 18 ans et c’est effectivement une clientèle masculine de tout âge qui accède à la salle durant notre discussion. « Tous les milieux socio-professionnels fréquentent notre salle. Nous avons des retraités comme des professeurs de médecine » m’annonce fièrement Monsieur Maurice. « Autrefois, beaucoup de VRP passaient l’après-midi, une fois leurs contrats signés, au Beverley! »

Peu de jeunes gens fréquentent la salle, sauf pour une occasion spéciale. « Nous avons au Beverley des enterrements de vie de garçon. Il y a même eu des enterrements de vie de jeunes filles! Tout cela se passe dans le plus grand respect de la salle et de la clientèle. Une jeune fille avait même effectué, devant ma clientèle ravie, un numéro de strip-tease dans une ambiance bon enfant! » Car ses spectateurs, pour la plupart des habitués du lieu, Monsieur Maurice les soignent. « Je connais pratiquement toute ma clientèle » me confirme-t-il. « Avant de prendre la tête du Beverley, je n’avais jamais mis les pieds dans un cinéma X! »

Comment en arrive-t-on à prendre la direction d’une salle porno? « Avant d’être exploitant, j’ai été projectionniste. Jeune opérateur, mon premier film projeté a été « Toute une Vie » de Claude Lelouch. » Puis Monsieur Maurice a assuré les projections d’un cinéma à Enghien-les-Bains, aujourd’hui disparu. « Il s’appelait le Hollywood. Il possédait une jolie salle à l’italienne, avec un balcon. A cette époque, il fonctionnait encore avec des projecteurs à charbon ». Son chemin l’a ensuite mené à la gestion des salles de l’Alpha à Argenteuil, dans la banlieue parisienne. « Dans ce cinéma où j’assurai la direction, nous avions organisé pendant une semaine nuit et jour, un festival de films assez controversés comme ceux de Fassbinder. » Puis c’est au Beverley que Monsieur Maurice a posé ses valises au milieu des années 1980.

Le Beverley, un commerce de proximité.

Un peu nostalgique d’une époque révolue, Monsieur Maurice sort sur le perron du Beverley et discute avec ses clients. Il salue également les quelques passants et habitants du quartier, comme cette mère de famille accompagnée de ses deux petites filles. Et de conclure: « Dans cette petite rue, beaucoup d’artistes comme Thierry Le Luron, qui se produisaient dans les théâtres des grands boulevards y cherchaient le quiétude des restaurants. C’est comme ça que j’ai franchement sympathisé avec Coluche qui passait me voir au Beverley. On a bien rigolé, surtout lorsqu’on faisait des parties mémorables de football dans la rue de la Ville-Neuve! »

Tous les passants et les habitants ne rentrent pas dans la salle de 100 fauteuils du Beverley mais beaucoup saluent amicalement son patron. Vous l’aurez compris, le Beverley est de ces commerces de proximité qui font encore la vie d’un quartier.

Information: le cinéma Beverley a fermé définitivement ses portes le 23 février 2019.

Remerciements à Monsieur Maurice.
Texte et photos: copyright Salles-cinema.com

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Livre: Cinéma Beverley, le dernier porno de Paris.

Histoire du cinéma Beverley (historique)

« J’ai fréquenté les salles de cinéma porno »: témoignage d’un spectateur dans les années 1970-80 et liste des salles de cinéma spécialisées.

Ci-dessus: Monsieur Maurice le patron du Beverley depuis le milieu des années 1980.

Ci-dessus: les portes du « cinéma des plaisirs ».

Ci-dessus: l’affiche dédicacée des acteurs de « Si mon c.. vous était conté » , dont le titre est un clin d’œil amusant aux films de Sacha Guitry. 

Ci-dessus: Le Beverley, fondateur du patrimoine des plaisirs.

Ci-dessus: la cabine de projection du Beverley fonctionne toujours au 35mm.