A Visegrad, une cité de la République serbe de Bosnie au charme typique, la Drina verse paisiblement son eau verdoyante et passe sous le seul site touristique de la ville, le Most Mehmed Pacha Sokolović, un magnifique pont de pierre du XVIème siècle, symbole de réconciliation entre musulmans et orthodoxes. Le prix Nobel de littérature Ivo Andrić s’est d’ailleurs inspiré de ce bel ouvrage dans son roman « Le Pont sur la Drina ». Dans cette bourgade située à quelques heures de Sarajevo, la maison du romancier y est d’ailleurs indiquée. C’est ce qui a poussé Kym (Kym Vercoe), une lectrice australienne d’Andrić, a prolonger son voyage dans cette partie du pays, vingt années après la guerre de Bosnie.

Après l’excellent « Sarajevo mon amour » couronné à Berlin en 2006, la réalisatrice Jasmila Zbanic revient avec un film aux allures de documentaire, co-écrit avec son interprète principale Kym Vercoe qui joue son propre rôle. C’est ce qui lui confère une force et une originalité rares.

Une fois rentrée de son voyage, Kym va s’apercevoir que le beau pont qu’elle a photographié a été le théâtre de massacres durant la guerre de Bosnie. Et que le charmant hôtel bucolique Vilina Vlas, recommandé par un guide, a abrité des viols de femmes perpétrés par les milices. Kym décide alors de retourner à Visegrad en plein mois de décembre. Pour savoir.

Oeuvre partisane, le titre du film « Les femmes de Visegrad » fait ainsi référence à ces centaines de femmes qui ont été violées et massacrées. Kym va tenter difficilement de délier les langues des habitants vivant désormais dans une paix terrifiante, qui ont forcément vu ou entendu les crimes. Mais tous veulent aujourd’hui oublier.

Troublant, oscillant entre fiction et journal intime, « Les femmes de Visegrad » (adapté de la propre pièce de Kym Vercoe) propose un traitement poignant contre l’oubli et rend hommage à « Ceux qui ne peuvent plus parler ». Le pont de Visegrad, qui devait être un trait d’union entre musulmans et orthodoxes n’aura plus le même sens aux yeux de Kym. Et des spectateurs.